1.
Introduction ^
La Loi de procédure pénale militaire (PPM)1, adoptée en 1979, est désormais un texte ancien. Sans être à proprement parler lacunaire, elle diffère des lois modernes et particulièrement du Code de procédure pénal fédéral de 20072. Ces différences ont trait à la fois à l’énoncé et à la concrétisation positive des garanties qui trouvent leur source dans les textes de rang supérieur (CEDH, Cst.), aux règles processuelles, mais aussi aux autorités pénales en charge de conduire des procédures selon l’une et l’autre loi. Ainsi, la PPM continue à consacrer le modèle traditionnel du couple juge d’instruction et procureur (dénommé « auditeur » en procédure pénale militaire), le premier conduisant les investigations et disposant de pouvoirs coercitifs importants (y compris la détention avant jugement dans sa première phase), mais ne prenant aucune décision relative au fond de l’affaire ; le second ne disposant pas de pouvoir d’investigations propres, mais décidant du sort de la procédure au travers du prononcé d’un non-lieu, d’une ordonnance de condamnation ou du renvoi au tribunal au moyen d’un acte d’accusation.
Ces différences entre droits de procédure pénale ordinaire et militaire pose donc immanquablement la question de savoir si et dans quelle mesure les dispositions du droit de procédure pénale ordinaire, et l’abondante jurisprudence développée à cet égard, trouve, directement, à titre supplétif ou par analogie, application aussi en procédure pénale militaire.
Nous verrons que, quelles que soient les réponses formelles ou techniques qu’il convient d’apporter à ces questions, c’est indubitablement à une interprétation et à une application convergentes des textes et des règles de droit ordinaire et militaire qu’appellent tant la référence aux normes du droit supérieur que la pratique actuelle des tribunaux militaires.
2.
Sources et influences de la PPM ^
En théorie, la délimitation entre la PPM et le CPP est claire et ne souffre guère d’interprétation. L’article 1 CPP précise que le Code de procédure pénale régit la poursuite et le jugement, par les autorités pénales de la Confédération et des cantons, des infractions prévues par le droit fédéral. Selon l’article 1 al. 2 CPP, les dispositions de procédure prévues par d’autres lois fédérales sont réservées. Cela signifie, d’emblée, que le CPP ne s’applique pas là où les procédures sont régies par la LTF, la DPA, la PPMin ou encore la PPM.
Ainsi, le droit pénal militaire est principalement mis en oeuvre au travers de la Procédure pénale militaire du 23 mars 19793, complétée par une ordonnance concernant la justice pénale militaire du 24 octobre 1979 (OJPM)4, ainsi que par une ordonnance concernant la justice militaire du 22 novembre 2017 (OJM)5.
Il n’existe cependant aucune norme d’articulation entre la PPM et le CPP. On relèvera toutefois que des ponts existent entre le droit pénal militaire et le droit pénal ordinaire : s’agissant du droit matériel, l’art. 8 CPM dispose ainsi que le droit pénal ordinaire s’applique aux personnes soumises au droit pénal militaire pour les infractions non prévues dans le CPM.
On peut dès lors se demander si le législateur n’aurait pas dû, lors de l’entrée en vigueur du CPP en 2011, combler les lacunes de la loi de procédure pénale militaire et introduire dans la PPM une règle de renvoi aux dispositions du CPP à titre supplétif8. Il convient cependant de relever que cette situation n’est pas unique : ainsi, il n’existe pas non plus de norme d’articulation entre le CPP et la DPA, autre loi ancienne qui comporte d’ailleurs bien plus d’insuffisances en termes de garanties procédurales et de normes processuelles que la PPM9. Relevons que, s’agissant de la DPA, le Tribunal fédéral a néanmoins eu l’occasion de souligner, dans une jurisprudence désormais constante, qu’il convenait d’appliquer le CPP à titre supplétif, même en l’absence de norme de renvoi, pour les questions que la DPA ne réglait pas exhaustivement10. Ce principe peut certainement être transposé à la procédure pénale militaire.
Ainsi, les autorités de poursuite pénale militaire se doivent, à l’aune de la protection des droits fondamentaux et procéduraux garantis par la Constitution et la CEDH, de s’inspirer de la jurisprudence développée par les juridictions ordinaires. En outre, si la PPM s’avère lacunaire et qu’il y a lieu de la compléter, il faudra faire preuve d’interprétation analogique ou téléologique, en référence aux règles du CPP, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral rappelée ci-dessus. Cette forme d’application n’est d’ailleurs pas contraire au principe de la légalité des délits et des peines11 qui, on le rappelle, ne gouverne que le droit matériel et non le droit procédural.
3.1.
Introduction ^
Les différences sont parfois importantes entre la PPM et le CPP. Cela tient à l’époque d’élaboration de ces textes, mais aussi aux différences relatives à l’organisation judiciaire qu’ils consacrent. Il serait illusoire de vouloir dresser ici un catalogue exhaustif de ces différences. Nous nous limiterons par conséquent à en exposer certaines, qui nous paraissent être les plus significatives.
On envisagera en premier lieu l’absence d’un tribunal des mesures de contrainte en droit militaire (3.2), l’absence de procédure simplifiée (3.3), l’absence de procédure de conciliation généralisée (3.4), ainsi que certains aspects des droits de la défense (3.5). Nous terminerons avec quelques questions spécifiques choisies (4) et une brève conclusion (5).
3.2.
L’absence de tribunal des mesures de contrainte ^
Le Code de procédure pénale institue, à l’article 18 CPP, un tribunal des mesures de contrainte. Celui-ci ordonne la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté et, lorsque le CPP le prévoit, prononce ou autorise d’autres mesures de contrainte. On pensera, notamment, à toutes les décisions portant sur la garantie de l’anonymat (art. 150 al. 3 CPP), la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté, leur contrôle ainsi que toute mesure de substitution (art. 295 ss CPP, art. 237ss CPP), l’hospitalisation d’une personne en liberté à des fins d’expertise (art. 186 al. 2 CPP), la levée des scellés (art. 248 al. 3 CPP), l’utilisation de dispositifs techniques de surveillance (art. 280-281 CPP), la surveillance de la correspondance par poste et télécommunications (art. 269 ss CPP), le recours à des agents infiltrés (art. 285a ss CPP), les prélèvements ADN opérés lors d’une enquête de grande envergure (art. 256 CPP), la surveillance des relations bancaires (art. 284 ss CPP), les mesures prévues à l’article 66 CP dans le cadre de procédures indépendantes en matière de mesure (art. 373 al. 1 CPP).
A cela s’ajoute la faculté, pour le justiciable touché par la mesure de contrainte, d’interjeter recours contre les décisions du tribunal des mesures de contrainte dans les cas prévus par la loi (art. 20 al. 1 let. c CPP et art. 393 al. 1 let. c CPP). On pensera au recours contre la décision ordonnant la mise en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, contre la prolongation ou la levée de la détention (art. 222 CPP), au recours à l’encontre des mesures de surveillance par poste et télécommunications (art. 279 al. 3 CPP), de même qu’en matière de surveillance bancaire (art. 285 al. 4 CPP), d’investigation secrète (art. 298 al. 3 CPP) ou enfin de cautionnement préventif (art. 373 al. 1 in fine CPP).
A l’inverse, la PPM ne prévoit aucune autorité juridictionnelle distincte compétente pour statuer sur de tels objets.
Pratiquement12, les compétences pour trancher le type de questions qui, en procédure ordinaire, relèvent de la compétence du TMC, se répartissent entre l’Auditeur en chef et les Présidents des Tribunaux militaires.
Afin d’assurer la séparation des fonctions de contrôle et de jugement, un « Président II » est en pratique désigné au sein de chaque tribunal militaire pour assumer les fonctions de juge « TMC »13 : c’est lui qui statuera sur les questions relevant, en procédure ordinaire (et pour autant que la PPM confie cette tâche au président du tribunal) des attributions du TMC, en particulier le contrôle de la détention et la procédure de levée des scellés14.
Lorsqu’une mesure de contrainte, telle qu’une perquisition (art. 67 al. 3 PPM), une prolongation de détention provisoire (art. 59 al. 2 PPM) ou une levée des scellés (art. 70b et 75 lit. b PPM), doit être prononcée, le juge d’instruction (JI) en charge de l’affaire prend contact avec la Chancellerie de la justice militaire et lui transmet sa requête motivée. Cette dernière choisit ensuite un « juge des mesures de contrainte » (JMC) en prenant soin de contrôler que celui-ci ne connaîtra pas du même dossier en qualité de président de tribunal. Le JI transmet ensuite sa requête complète au JMC, qui statuera de manière indépendante.
Cette façon de procéder permet de pallier l’absence de TMC dans l’organisation judiciaire militaire et satisfait certainement les exigences d’indépendances et d’impartialités consacrées par le droit supérieur.
3.3.
La procédure simplifiée ^
Le Code de procédure pénale institue le régime de la procédure simplifiée aux articles 358ss CPP. Concrètement, jusqu’à la mise en accusation, le prévenu qui a reconnu les faits déterminants pour l’appréciation juridique ainsi que, au moins, dans leur principe, des prétentions civiles, peut demander l’exécution d’une procédure simplifiée au Ministère public (art. 358 al. 1 CPP). Selon l’article 358 al. 2 CPP, la procédure simplifiée est exclue lorsque le Ministère public requiert une peine privative de liberté supérieure à cinq ans.
Les dispositions des articles 358 à 363 CPP ont consacré ainsi le principe du plea bargain ou de la négociation pénale15. Concrètement, le Code de procédure pénale permet au prévenu, à sa demande expresse, ou si une telle solution lui est suggérée par l’autorité de poursuite, pour autant qu’il admette les faits, la qualification et les prétentions civiles, de régler rapidement la situation pénale sur le plan procédural. Le ministère public n’a certes aucune obligation d’entrer en matière. Mais, dans l’affirmative, l’acte d’accusation (avec les sanctions et le sort des prétentions civiles) est présenté au tribunal d’un commun accord entre le procureur, le prévenu et, cas échéant, les parties plaignantes et lésées (art. 360 al. 1 et 2 CPP). Ce tribunal, à l’occasion d’une audience relativement courte, approuve l’acte d’accusation ou, si les conditions de la procédure simplifiée ne sont finalement pas réunies (accord du prévenu non établi, sanction inappropriée, etc.), renvoie le dossier à l’autorité de poursuite pénale, à qui il appartiendra ensuite d’engager une procédure préliminaire ordinaire (art. 362 al. 3 CPP).
Le système est totalement inconnu dans la PPM. Peut-on néanmoins imaginer, par analogie, ce type d’institution ?
Pour certains auteurs, l’instauration d’une procédure simplifiée devant un tribunal militaire serait parfaitement envisageable et ce malgré l’indépendance dont bénéficient les auditeurs de milice16. Toutefois, cette approche pragmatique semble difficilement compatible avec le principe de la légalié des poursuites que consacre le droit pénal militaire : la renonciation, même partielle, à l’action pénale ne pouvant intervenir, sous réserve de la juridiction disciplinaire, qu’en conformité aux dispositions du droit matériel qui la consacrent (art. 45ss CPM). Dès lors, pour respecter le principe de la légalité et assurer la sécurité du droit (de procédure), il conviendrait de modifier la PPM sur ce point et d’introduire des dispositions qui seraient le pendant des articles 358 à 362 CPP.
3.4.
La procédure de conciliation ^
selon l’article 316 al. 1 CPP, lorsque la procédure préliminaire porte exclusivement sur des infractions poursuivies sur plainte, le ministère public peut citer le plaignant et le prévenu à une audience dans le but d’aboutir à un arrangement à l’amiable. La disposition est complétée par l’alinéa 2, qui dispose que si une exemption de peine au titre de réparation selon l’article 53 CP entre en ligne de compte, le ministère public cite le lésé et le prévenu à une audience dans le but d’aboutir à une réparation.
La jurisprudence a eu l’occasion de préciser la portée de l’article 316 CPP. En effet, les textes allemand, italien et français de l’article 316 al. 1 CPP n’étaient pas convergents. Ainsi, pour le Tribunal fédéral, la conciliation n’est dès lors pas exclue quand la procédure concerne des infractions se poursuivant d’office et des infractions se poursuivant sur plainte17. Par ailleurs, même si la disposition ne confère qu’une simple faculté et non une obligation (Kannvorschrift), le ministère public doit, en principe, faire usage de cette faculté, à moins qu’une conciliation ne paraisse d’emblée impossible18. De même, si l’application de l’art. 53 CP (exemption de peine) entre en ligne de compte, le ministère public, conformément à l’article 316 al. 2 CPP, doit citer le lésé et le prévenu à une audience dans le but d’aboutir à une réparation.
La PPM ne connaît pas le même type d’institution.
Tout au plus le droit militaire connaît-il la règle posée à l’article 91 al. 2 OJPM : un règlement amiable est toujours possible s’agissant d’atteintes contre l’honneur. L’art. 92 al. 2 OJPM concrétise encore cette possibilité en donnant le droit à l’organe compétent de citer le lésé à un entretien dans le but de trouver une solution transactionnelle. Certains auteurs rappellent que le droit disciplinaire, qui s’applique en matière de cas bagatelle, n’interdit pas au détenteur du pouvoir de renoncer à sanctionner l’auteur19.
Il résulte de ce qui précède que, s’agissant de crimes et de délits poursuivis sur plainte et qui ne concernent pas une atteinte à l’honneur, aucune conciliation n’est envisageable. L’idée est que le droit de déposer plainte appartient aussi bien au lésé qu’à l’autorité compétente puisque l’on est dans une procédure militaire liée à des intérêts militaires20. Cette conception s’écarte quelque peu de celle que l’on connaît en droit pénal ordinaire, qui permet, à certaines conditions, de faire primer les intérêts du lésé (à recevoir réparation ou satisfaction) sur l’intérêt de l’Etat à punir (cf. art. 316 et 8 CPP, qui renvoie aux art. 52 à 54 CP)21.
On peut douter de cette solution. Certes, le droit pénal militaire poursuit des intérêts qui lui sont propres. Mais, finalement, le droit pénal ordinaire poursuit lui aussi des intérêts qui lui sont également propres, en particulier le respect de la sécurité et de l’ordre public. Dans un tel contexte, l’on comprend mal que la PPM ne connaisse pas de système identique à celui ménagé par le CPP et la jurisprudence du Tribunal fédéral. On pourrait envisager, par analogie, que l’auditeur en chef fasse davantage application des solutions dégagées par le CPP.
3.5.
Droits de la défense ^
Selon l’article 129 CPP, le prévenu peut recourir à l’assistance d’un défenseur à tous les stades de la procédure et dès la première heure et ce, quel que soit le type d’infraction (crime, délit et contravention) et la complexité de celle-ci. Le CPP prévoit en résumé des cas de défenses obligatoires larges, en particulier lorsque la détention provisoire excède dix jours, lorsque le prévenu est exposé à une peine privative de liberté de plus d’un an ou d’une expulsion, en raison de son état physique ou psychique, lorsque le ministère public intervient personnellement devant les tribunaux ou encore lorsqu’une procédure simplifiée est engagée (art. 130 CPP).
S’agissant de la PPM, on rappellera les règles qui sont communes aux deux Codes de procédure : le principe de l’assistance d’un défenseur résulte de l’article 32 al. 2 Cst. et de l’article 6 CEDH. Sa violation aura bien évidemment pour conséquence la non-exploitabilité des déclarations. En droit de procédure militaire, le principe est énoncé à l’article 109 PPM et repris aux articles 43-44 OJPM.
En procédure pénale militaire, à rigueur de texte, la défense obligatoire est consacrée au stade de l’instruction et est réservée aux cas graves et compliqués. En pratique toutefois, cette défense peut être assurée dès la phase de l’enquête et l’est de plus en plus souvent.
Hormis les quelques indices figurant aux art. 43 et 44 OJPM, la difficulté réside cependant dans le fait que la loi ne définit pas ce qu’il faut entendre par « cas grave » ou « compliqué ». On devrait pouvoir s’inspirer, par analogie, des solutions consacrées par le CPP. Eu égard aux exigences de sécurité du droit (de procédure), il serait opportun que le législateur modifie la PPM en conséquence et adapte la législation procédurale militaire aux solutions proposées par le CPP fédéral, qui ont fait leurs preuves jusqu’à ce jour.
4.1.
Procédure de mise en détention en cours d’enquête ^
Le Code de procédure pénale règle strictement et exhaustivement le cadre de l’appréhension, de l’arrestation provisoire et de la mise en détention (art. 215 ss, 217 ss et 220 ss CPP).
L’arrestation provisoire, lorsqu’elle est effectuée par la police, ne peut dépasser 24h (art. 219 al. 4 CPP). De même, le prévenu présenté au ministère public ne saurait voir sa détention dépasser 48h (art. 224 al. 2 CPP). Puis, une fois le tribunal des mesures de contrainte saisi, celui-ci doit statuer dans le délai de 48 heures (art. 226 al. 1 CPP), ce qui impose aux autorités pénales un délai maximum de 96 heures entre l’arrestation et le prononcé du tribunal des mesures de contrainte22. Au-delà, la détention devient illicite et peut conduire à une indemnisation du prévenu (art. 431 CPP).
Enfin, selon l’article 227 al. 4 CPP, la prolongation de la détention est également ordonnée par le tribunal des mesures de contrainte.
En procédure pénale militaire, la situation est fort différente à maints égards. En principe, l’appréhension dure également 24 heures (art. 55a PPM). Cependant, la détention préventive peut être ordonnée par le Juge d’instruction et ce pendant quatorze jours (art. 59 PPM). Au-delà, c’est le président du tribunal militaire qui, sur requête motivée du juge d’instruction, autorise une ou plusieurs prolongations de la détention d’un mois au plus chacune (art. 59 al. 2 PPM). Ces solutions, relativement anciennes et qui s’expliquent par le fait qu’au moment de l’adoption de la PPM, la jurisprudence de la CEDH et du Tribunal fédéral n’étaient pas aussi élaborées en matière d’indépendance de l’autorité de contrôle de la détention, ne sont pas à l’abri de critiques. On rappelle que la jurisprudence du Tribunal fédéral, à l’aune de celle rendue par la CourEDH, proscrit l’union personnelle entre l’autorité de poursuite et l’autorité de contrôle des mesures de contrainte à l’image de la détention23. C’est pourtant ce que prévoit l’art. 232 al. 1 CPP : l’autorité d’appel, direction de la procédure, est compétente pour prononcer une mise en détention du prévenu pour la durée de la procédure d’appel24.
L’article 59 al. 2 PPM n’est guère compatible avec les garanties fondamentales et procédurales du prévenu. En premier lieu, le fait que le juge d’instruction puisse maintenir à sa disposition, en détention, un prévenu sous son autorité pendant deux semaines alors qu’il n’y a aucun contrôle automatique par un juge durant cette période paraît disproportionné25. D’autre part, s’il y a lieu de requérir, à partir du quinzième jour, l’intervention du président du tribunal militaire, cette solution demeure douteuse dans la mesure où c’est bien ce tribunal militaire qui, par la suite, jugera l’intéressé. Certes, le mécanisme du juge des mesures de contrainte instauré au sein des tribunaux militaires permet de pallier cette problématique. Mais, dans un droit où les garanties fondamentales ont été progressivement codifiées sous l’influence de la jurisprudence de la CourEDH, la PPM devrait être corrigée et les solutions proposées par le CPP devraient pouvoir s’appliquer, au moins par analogie26. Pour le surplus, les conditions de mise en détention de la procédure pénale ordinaire (art. 221 CPP) et celles prévues dans la loi de procédure militaire (art. 56 PPM) sont quasi identiques27.
4.2.
Les mesures de substitution ^
Là également, les mesures de substitution sont différentes entre le droit de procédure civile et la PPM.
Le Code de procédure pénale dispose, à l’article 237 CPP, que le tribunal des mesures de contrainte, ou l’autorité de jugement quand elle est compétente, ordonne, en lieu et place de la détention provisoire pour motifs de sûreté, selon une liste non exhaustive28, différents types de mesures de substitution, en particulier la fourniture de sûretés (caution), la saisie de documents d’identité et autres documents officiels, l’assignation à résidence ou l’interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble, l’obligation de se présenter régulièrement à un service administratif, l’obligation d’avoir un travail régulier, l’obligation de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles ainsi que l’interdiction d’entretenir des relations avec certaines personnes (art. 237 al. 2 let. a à g CPP). Il est encore à préciser que si le ministère public requiert des mesures de substitution en lieu et place d’une privation de liberté, le tribunal des mesures de contrainte ne peut ordonner une détention avant jugement29.
L’article 237 CPP consacre ainsi le principe de la proportionnalité et se réfère à l’article 197 al. 1 let. c CPP selon lequel les mesures de contrainte ne peuvent être prises que si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères30. Qui plus est, les mesures de substitution instituées par l’article 237 CPP ont un caractère contraignant. Le tribunal des mesures de contrainte est ainsi tenu de les ordonner en lieu et place de la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté lorsqu’elles permettent d’atteindre les mêmes buts31.
Enfin, les mesures de substitution doivent être imputées sur la peine privative de liberté en application de l’article 51 CP et ce de manière analogue à la détention provisoire32. Concrètement, pour déterminer la durée à déduire, l’autorité de jugement prendra en compte le niveau d’entrave à la liberté de la personne en comparaison avec la privation de liberté découlant de la détention33.
En procédure pénale militaire, la solution est fondamentalement différente, la procédure ne connaissant pas un catalogue tel que celui prévu par le CPP, ni même la possibilité de prononcer une autre mesure que la détention préventive. On relèvera en premier lieu que la fourniture de sûretés n’est pas prévue. Tout au plus l’article 27 OJPM prévoit-t-il le séquestre des pièces d’identité de l’inculpé ou du suspect.
Ainsi, en droit de procédure pénale militaire, ou bien la personne objet de la procédure est mise en détention, ou bien elle reste en liberté. Il n’y a pas de solutions (légales) intermédiaires.
L’autorité compétente militaire pourrait certes faire application, toute générale, du principe de la proportionnalité et s’inspirer cas échéant, des solutions proposées par le CPP, s’agissant notamment du versement d’une caution, de l’assignation à résidence ou de l’obligation de se présenter dans un service administratif ou de police. Cette solution étant validée par la jurisprudence du Tribunal fédéral. Notons cependant que, en comparaison avec le système que l’on connaît en procédure pénale ordinaire, la doctrine militaire impose, non pas la « vraisemblance » de l’existence de soupçons concrets34, mais qu’une « haute vraisemblance de condamnation » soit démontrée35. On pourrait comprendre cette exigence comme une forme d’expression du principe de la proportionnalité lors de l’examen d’une mise en détention dans le cadre militaire.
Sur ces points également, il conviendrait que la PPM soit complétée de dispositions, en analogie avec celles résultant des solutions proposées par le CPP, ne serait-ce que par souci de sécurité du droit.
4.3.
Séquestre et confiscation en mains du prévenu ou du tiers ^
Qu’il s’agisse de droit ordinaire ou de droit militaire, les principes propres au séquestre et à la confiscation sont les mêmes36.
S’agissant du séquestre, le CPP fixe les conditions aux articles 263 ss CPP. Ainsi, les objets et valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre lorsqu’il est probable qu’ils seront utilisés comme moyen de preuve, pour garantir les paiements des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités, qui devront être restituées au lésé et qui devront être confisquées (art. 263 al. 1 let. a à d CPP). Le Tribunal fédéral y a rajouté le séquestre des créances compensatrices, l’article 71 CP le prévoyant expressément37.
En procédure pénale militaire, le séquestre est traité aux articles 63 et 64 PPM de façon beaucoup plus simple38. Selon l’article 63 PPM, les objets et valeurs qui peuvent peut-être servir de pièces à conviction dans l’instruction ou qui sont confisqués39 doivent être séquestrés et placés en lieu sûr ou conservés de toute autre manière. Quant au détenteur d’un objet ou d’une valeur frappés de séquestre, il est tenu de les délivrer sur sommation. En cas de refus, l’objet lui sera enlevé de force (art. 64 PPM).
Pour le reste, la PPM ne définit pas les autres cas de séquestre, en particulier s’agissant de valeurs qui pourraient être utilisées pour garantir le paiement des frais de procédure, de peines pécuniaires, d’amendes ou d’indemnités, d’objets devant être restitués au lésé ou d’objets susceptibles d’être confisqués. Une modification de ces dispositions serait opportune afin de pouvoir préciser certaines notions et aligner le régime militaire à celui que l’on connaît en procédure pénale ordinaire40.
Cela étant, dans la mesure où la créance compensatrice est réglée à l’article 51b CPM, le prononcé d’un séquestre à ce titre est envisageable.
En procédure pénale militaire, l’article 166 PPM permet aux personnes touchées directement, à l’instar du recours des art. 393 ss CPP en droit de procédure pénale ordinaire, de porter plainte contre les décisions en matière de séquestre. Aux fins de garantir la possibilité de contester l’atteinte au droit de propriété que représente le séquestre41, le prononcé de celui-ci fait l’objet d’une décision formelle et motivée, notifiée aux parties, avec l’indication des voies et des délais de recours (art. 42 al. 1 PPM).
Cela étant, la PPM était muette sur les droits des tiers, lorsque la confiscation des avoirs dont ils avaient la possession et la détention avaient été ordonnées42. Toutefois, dans sa teneur actuelle43, l’art. 118 PPM permet maintenant au tiers touché par la confiscation de faire recours contre une ordonnance de non-lieu et les décisions fixant une indemnité. Il en va de même à l’art. 122 PPM, qui donne également la possibilité au tiers touché par la confiscation de former opposition contre l’ordonnance de condamnation44. Avant la modification du 17 juin 2016 (entrée en vigueur le 1er janvier 2019), seul le jugement contenait la décision sur les objets séquestrés (art. 153 al. 2 PPM). Et contre le jugement, peuvent seuls faire appel l’accusé, son défenseur, l’auditeur ou la partie plaignante, sous certaines conditions (art. 172 ss PPM, en particulier art. 173 PPM). De même, le jugement sur appel peut être déféré au Tribunal militaire de cassation (TMC) selon les articles 184 ss PPM. Il en découle que la qualité pour faire recours contre un jugement d’appel est réservée à l’accusé, son défenseur, à l’auditeur ainsi qu’à la partie plaignante (art. 186 PPM). Seul l’art. 195 PPM permet le dépôt d’un recours au Tribunal militaire de cassation dans les cas de confiscation (art. 195 al. 1 lit. e PPM). L’art. 196 al. 3 PPM octroyant à cet effet la qualité pour recourir également au tiers touché par une mesure de confiscation.
Les carences procédurales, anciennement corrigées par des voies de recours prétoriennes45, sont maintenant supprimées et les « nouveaux » moyens de droit à disposition des tiers touchés par la confiscation font l’objet de bases légales expresses.
4.4.
Procédure de scellés ^
Le Code de procédure pénale règle – du moins en partie – la procédure de scellés à l’article 248 CPP. Selon la disposition topique, les documents, enregistrements et autres objets qui ne peuvent être ni perquisitionnés ni séquestrés parce que l’intéressé a fait valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner pour d’autres motifs sont mis sous scellés et ne peuvent être ni examinés ni exploités par les autorités pénales. D’autre part, selon l’article 248 al. 2 CPP, si l’autorité pénale ne demande pas la levée des scellés dans les 20 jours, les documents et autres objets mis sous scellés sont restitués à l’ayant-droit.
Cette disposition, fort incomplète, a été développée par la jurisprudence fédérale. En particulier, il s’est agi de définir la notion d’ayant-droit que le Code n’a pas précisée. Selon le Tribunal fédéral, le détenteur de documents, enregistrements et autres objets peut demander la mise sous scellés et non pas seulement celui qui a assisté à la perquisition46. Ainsi, seuls les détenteurs et personnes qui possèdent effectivement les documents ou autres objets susceptibles d’être saisis peuvent requérir la mise sous scellés47. Par conséquent, si la banque est détentrice de la documentation bancaire et non pas le titulaire du compte (ou l’ayant-droit économique), elle peut directement demander les scellés48. Pour le Tribunal fédéral, l’étendue de la protection de la mise sous scellés selon l’article 248 al. 1 CPP doit correspondre autant que possible à celle des séquestres selon l’article 264 al. 3 CPP49. On en déduit que la faculté pour s’opposer à une perquisition d’enregistrements dépasse le cercle de ceux qui détiennent l’emprise sur la chose et s’étend également aux personnes qui, indépendamment du rapport de possession, pourraient disposer d’un intérêt juridiquement protégé au maintien du secret sur le contenu50.
Concrètement, l’autorité pénale doit s’assurer que les bénéficiaires du droit à cette protection du secret soient en mesure de l’exercer à temps et de manière efficace. Celle-ci doit alors accorder la possibilité de déposer une demande de mise sous scellés51.
Enfin, dans le cadre de la procédure préliminaire, le tribunal des mesures de contrainte est compétent pour ordonner une éventuelle levée des scellés demandée par le ministère public (art. 248 al. 3 let. a CPP) et, s’agissant de la phase des débats, le tribunal saisi de la cause est compétent pour se prononcer (art. 248 al. 3 let. b CPP).
En procédure pénale militaire, la mise sous scellés est réglée, non pas dans la PPM, mais dans l’ordonnance concernant la justice pénale militaire (OJPM). L’art. 67 PPM dispose que seul le président du tribunal militaire est compétent et dans tous les cas de figure. Là également, cette solution est délicate puisque cela revient à concentrer la fonction de contrôle des mesures de contrainte et la fonction de jugement au fond sur la même autorité. En effet, si c’est le Président du Tribunal militaire qui est compétent, d’entrée de cause, pour déterminer ce qui devait ou ne devait pas faire partie du dossier, son opinion peut être influencée par la suite lorsqu’il sera amené à juger la cause. On devrait ménager sur ce point le correctif de la procédure de récusation. Comme exposé plus haut, les tribunaux militaires ont donc prévu qu’un petit groupe de juges, fonctionnant comme « président II », se voient assigner la tâche de juges des mesures de contrainte ; à ce titre ils doivent se prononcer sur les questions d’admissibilité des perquisitions (art. 67, al. 3, PPM et 31, al. 1, OJPM), de prolongation de détention provisoire (art. 59, al. 2, PPM) et du tri des informations recueillies auprès d’une personne appartenant à l’une des catégories professionnelles énumérées à l’art. 75, let. b, PPM (art. 70b, al. 1, PPM). Il appartiendra à la Chancellerie rattachée à l’Office de l’Auditeur en chef de s’assurer que les présidents qui interviennent dans un dossier comme « JMC » ne sont pas ensuite appelés à juger au fond ce même dossier.
4.5.
Un avantage de la PPM : le principe de l’immédiateté durant la phase des débats ^
Malgré le nombre de « carences » de la PPM mises en évidence dans les sections précédentes, la procédure pénale militaire comporte certains avantages sur le CPP, en particulier lors de la phase des débats.
Les principes d’oralité des débats et d’immédiateté des preuves ont une place toute particulière dans le procès pénal. Issus du droit supérieur52, ces principes confèrent aux parties le droit de faire administrer les preuves par le tribunal au cours de débats publics et de pouvoir interroger (et contre-interroger) les témoins à charge, les parties plaignantes ou les experts. Le juge doit pouvoir forger sa conviction sur la base des preuves administrées immédiatement et oralement53. Ces principes visent également à garantir l’égalité des armes entre le ministère public et la défense54.
Toutefois, en droit de procédure ordinaire, le législateur a choisi une immédiateté dite « restreinte » ou « tempérée »55. En effet, si le principe de l’oralité est énoncé comme étant une règle générale de procédure à l’art. 66 CPP, le Code de procédure pénale comporte bon nombre d’exceptions au principe. L’on peut entre autres citer la forme essentiellement écrite des actes de procédure exécutés durant la procédure préliminaire (art. 76 al. 1 et 77 CPP), le principe selon lequel les témoins qui ont déjà été entendus lors de l’instruction ne sont pas réentendus lors des débats (art. 331 al. 1 et 343 CPP), la procédure de prolongation de détention (généralement diligentée en la forme écrite, art. 227 al. 6 CPP) ainsi que la procédure de recours (art. 390 et 397 CPP) et d’appel (art. 405 al. 2 in fine et 406 CPP)56.
Depuis l’unification de la procédure pénale, on remarque effectivement que l’oralité et l’immédiateté s’effacent au profit d’une récolte écrite des preuves testimoniales, ce qui provoque un déplacement du centre de la procédure vers la phase préliminaire de celle-ci57. Ce changement de paradigme repose sur la volonté de donner avant tout mission au ministère public de recueillir et administrer les preuves nécessaires au cours de l’instruction (art. 308 al. 3 CPP), alors que le juge du fond ne sera pas tenu de réadministrer devant lui les preuves valablement récoltées durant la phase préliminaire58. L’art. 343 CPP reprend expressément ce principe en imposant au tribunal de n’administrer que les nouvelles preuves lors des débats, celles qui supposent une connaissance directe pour que les juges puissent se prononcer et celles qui n’ont pas été administrées de manière suffisante ou conforme au droit. La doctrine et la jurisprudence s’accordent à dire que les juges devraient faire un usage généreux de la connaissance direct des moyens de preuves afin de garantir au mieux le caractère équitable de la procédure59.
Le procès pénal militaire repose, quant à lui, sur l’idée d’une immédiateté stricte60. Celle-ci suppose que le tribunal ne juge le prévenu que sur la base des preuves administrées lors de l’audience. En effet, l’art. 138 PPM prévoit que le président donne au tribunal connaissance des pièces du dossier et interroge les témoins selon un ordre prédéfini. Seuls les cas exceptionnels d’empêchements des témoins à être présent aux débats permet une lecture des procès-verbaux de leurs déclarations en lieu et place d’un interrogatoire (art. 141 al. 2 PPM). Les art. 146 al. 1 et 147 PPM renforcent encore l’oralité et l’immédiateté en disposant que l’appréciation des faits par le tribunal doit se faire uniquement en considération des constatations faites au cours des débats.
Avant les débats, le président est le seul juge à recevoir le dossier constitué par le juge d’instruction, de sorte que les quatre juges de la troupe fondent leur conviction exclusivement au cours des débats61, grâce à la procédure probatoire complète menée durant la première phase de ceux-ci (art. 141 al. 1)62. Seules les affaires dites « complexes » permettent de limiter le principe, en donnant la possibilité au président de transmettre les pièces essentielles aux juges avant les débats (art. 124 PPM)63. Une autre atténuation du principe réside dans la possibilité, pour le président, de procéder lui-même, et de manière anticipée, à l’administration de preuves qui ne peuvent pas l’être durant les débats (visite des lieux avant débats, témoin ou expert malade et impossibles à faire venir aux débats)64. Les parties ont le droit de participer à l’administration de ces preuves « anticipées ».
Le système militaire garantit également le droit à la confrontation du prévenu à l’audience (droit d’être présent à son procès)65. Le président interroge le prévenu sur les faits retenus dans l’acte d’accusation ainsi que sur sa situation personnelle (professionnelle, militaire, familiale, financière, etc.). Des questions nouvelles peuvent être posées sur demande de l’auditeur, d’un juge ou du défenseur (art. 137 2ème phrase PPM). Les témoins sont ensuite entendus selon l’ordre décidé par le président. Chaque partie peut poser des questions aux témoins et même exiger une confrontation en cas de déclarations contradictoires (art. 138 al. 2 et 3 PPM). Les conditions pour autoriser l’absence de témoins aux débats sont très strictes et restrictives : seuls le décès, une adresse inconnue, de justes motifs ou des déclarations non pertinentes pour le sort de la cause peuvent justifier une lecture des déclarations en lieu et place d’une comparution aux débats (art. 141 al. 1 PPM).
Enfin, lorsque l’affaire est en état d’être jugée, le tribunal délibère et apprécie librement les preuves d’après la conviction qu’il a acquise au cours des débats et le jugement rendu ne peut se fonder que sur les constatations faites à l’occasion des débats (art. 146 al. 1 PPM).
En vertu de l’art. 181 al. 3 PPM, les règles exposées ci-dessus sont applicables par analogie à la procédure devant l’autorité d’appel.
La PPM, en comparaison avec système que l’on connaît en procédure pénale ordinaire, maintient de manière bien plus stricte les principes de l’oralité et de l’immédiateté. Les exceptions y sont bien plus rares et exigeantes que dans le CPP. Le système institué par la PPM mérite, à cet égard, d’être reconnu et salué.
5.
Conclusion ^
Quel bilan tirer de la PPM en 2018 ?
180 ans de procédure pénale militaire ont démontré que cette justice, de milice, fonctionne et fonctionne même bien. Non seulement, elle permet de soulager la justice ordinaire d’un grand nombre de cas (plusieurs milliers par année), mais elle apporte aussi un regard spécialisé à des infractions souvent spécifiques ou, à tout le moins, qui interviennent dans un contexte particulier qu’il est utile de connaître pour en juger.
Il est vrai cependant que le développement des droits fondamentaux et procéduraux, tout comme l’unification de la procédure pénale ordinaire, mettent la procédure pénale militaire à l’épreuve.
S’il est vrai que les acteurs de la justice militaire peuvent raisonner par analogie et « adapter » le droit de la procédure pénale militaire aux nécessités du droit positif constitutionnel et conventionnel, des révisions législatives, parfois profondes, sont cependant nécessaires. Récemment encore66, la procédure pénale militaire a d’ailleurs connu des modifications substantielles, en particulier celles liées aux droits des victimes et, plus généralement aujourd’hui, des lésés. Toutes ces modifications ont comporté une approche congruente du droit militaire et du droit ordinaire. Il faut donc appeler de ses vœux une poursuite de ce travail législatif de convergence, sans pour autant priver le droit pénal militaire de ce qui fait sa spécificité, en particulier dans son organisation judiciaire, son immédiateté et son oralité toujours très fortes, et ses particularités, comme le droit disciplinaire.
Laurent Moreillon, Docteur en droit, avocat, Professeur et Doyen de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de l’Université de Lausanne.
Alain Macaluso, Docteur en droit, avocat, Professeur à Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de l’Université de Lausanne.
La présente contribution est une version remaniée et complétée de la conférence que Laurent Moreillon a donné à Zurich le 11 septembre 2018, lors du séminaire organisé pour célébrer les 180 ans de la Justice militaire fédérale suisse.
Alain Macaluso est également colonel de la Justice militaire, membre de l’Etat-Major de l’Office de l’Auditeur en chef au sein duquel il exerce les fonctions de Chef droit. Les considérations contenues dans la présente contribution ne sont cependant que l’expression d’opinions personnelles qui n’engagent en rien l’Office de l’Auditeur en chef.
Les auteurs remercient M. Ryan Gauderon, assistant diplômé au sein du Centre de droit pénal de l’Université de Lausanne et capitaine de la Justice militaire (Greffier auprès du Tribunal militaire 1), pour l’aide apportée à la présente contribution.
- 1 Procédure pénale militaire du 23 mars 1979 (PPM ; RS 322.1).
- 2 Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP ; RS 312.0).
- 3 Procédure pénale militaire du 23 mars 1979 (PPM ; RS 322.1).
- 4 Ordonnance concernant la justice pénale militaire du 24 octobre 1979 (OJPM ; RS 322.2).
- 5 Ordonnance concernant la justice militaire du 22 novembre 2017 (OJM ; RS 516.41).
- 6 Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. ; RS 101).
- 7 Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales conclue le 4 novembre 1950, entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 1974 (CEDH ; RS 0.101).
- 8 Godel Thierry, La procédure pénale militaire en Suisse, état des lieux, examen critique et propositions de révision, Thèse, Helbing & Liechtenhahn, Bâle 2018, p 53.
- 9 Pour un exposé de certaines de ces insuffisances, voir Andreas Eicker/Jonas Achermann/Julia Lehner, Zur Zulässigkeit eines Rückgriffs auf Bestimmungen der StPO im Verwaltungsstrafverfahren in : PJA 2013, p. 1450 à 1466.
- 10 Arrêt du Tribunal fédéral 1B_433/2017 du 21 mars 2018, c. 1.1 et les références citées, notamment ATF 139 IV 246, c. 1.2.
- 11 Art. 1er CP et CPM.
- 12 L’art. 4 OJM liste les tâches de l’Auditeur en chef, mais ne prévoit pas expressément la mission de contrôle juridictionnel des mesure qui, dans le CPP, sont examinées par le TMC.
- 13 La justice militaire est, depuis le 1er janvier 2018, organisée selon les trois régions linguistiques de Suisse, avec des tribunaux militaires pour chacune d’elles : le TM1 (francophone), le TM2 (germanophone) et le TM3 (italophone) (cf. art. 17 ss OJM). Chaque tribunal militaire a, dans ses rangs, plusieurs Présidents de tribunal et des présidents II, dont certains reçoivent une formation spéciale en matière de mesures de contrainte. Ils sont appelés « juges des mesures des contraintes » (JMC).
- 14 Même si cette pratique peut prêter le flanc à la critique sous l’angle de l’indépendance et l’impartialité des tribunaux garanties par l’art. 6 CEDH, le Tribunal fédéral ne rejette pas l’idée qu’une même autorité judiciaire puisse s’incarner dans des magistrats différents et de distinguer, au sein de cette même juridiction, les juges qui statuent sur les questions de détention de ceux qui examinent l’affaire au fond (ATF 139 IV 270, c. 2).
- 15 Gérard Piquerez/Alain Macaluso, Procédure pénale suisse, Bâle 2011, N 1588 ; Yvan Jeanneret/André Kuhn, Précis de procédure pénale, Berne 2018, N 17047 ; Bertrand Perrin, in : André Kuhn/Yvan Jeanneret (éds.), Commentaire romand Code de procédure pénale suisse (CPP), Bâle 2010 (cit. CR CPP-Auteur), intro. aux art. 358 à 362 CPP, N 1.
- 16 Godel T. (n. 8), p. 53 et les références citées.
- 17 ATF 140 IV 118 consid. 3.3.2, JdT 2015 IV 31, SJ 2015 I 85.
- 18 Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1251.
- 19 Godel T. (n. 8), p. 53, note 306. Principe qui correspond à l’opportunité des poursuites que l’on connaît bien en droit penal ordinaire (cf. art. 52 à 54 CP et 8 CPP).
- 20 Godel T. (n. 8), p. 53.
- 21 CR CPP-Killias/Kurth (n. 15), intro. aux art. 52 à 55, N 2.
- 22 ATF 137 IV 92, c. 3.2.1, traduit au JdT 2011 IV 367 ; ATF 137 IV 118, c. 2.1, traduit au JdT 2011 IV 325 et à la SJ 2011 I 473.
- 23 ATF 138 I 425, c. 4.4, traduit à la SJ 2013 I 257 ; ATF 139 IV 270, c. 2 et 3 ; arrêt de la Cour EDH, Nortier c. Pays-Bas, du 24 août 1993, requête no 13924/88, §33 ; arrêt de la Cour EDH, Hauschildt c. Danemark, du 24 mai 1989, requête no 10486/83, §49 ; arrêt de la Cour EDH, Bulut c. Autriche, du 22 février 1996, § 33.
- 24 Pour une critique de ce système, voir Alain Macaluso, Quelques aspects des procédures relatives à la détention avant jugement dans le CPP suisse, in : Forumpoenale 5/2011, p. 313 ss.
- 25 Une détention de maximum 14 jours sans le moindre contrôle par un magistrat pourrait conduire à priver arbitrairement une personne de ses droits et, partant, constituer une violation grave de la CEDH (arrêt de la Cour EDH, Reinprecht c. Autriche, du 15 novembre 2005, requête no 67175/01, § 41 : l’Autriche a été condamnée en raison d’une détention ordonnée sans que le détenu n’ait eu la possibilité de s’exprimer devant une autorité judiciaire.
- 26 Dans le même sens, Godel (n. 8), p. 476.
- 27 Thomas Marfurt/Nina Rindlisbacher, in : Stefan Wehrenberg/Jean-Daniel Martin/ Stefan Flachsmann/ Martin Bertschi/Stefan G. Schmid, Commentaire de la Procédure pénale militaire, Zurich 2008 (cit. Comm. PPM-Auteur), N 10, ad art. 56 PPM ; Godel (n. 8), p. 544: seul l’art. 221 al. 1 lit. c CPP ne trouve pas un exact équivalent en procedure pénale militaire (qui ne prévoit que le risque de la poursuite de l’activité criminelle et non pas un risque général de réitération).
- 28 ATF 142 IV 367, c. 2.1 ; ATF 133 I 127.
- 29 ATF 142 IV 29, c. 3
- 30 ATF 142 IV 367, c. 2.2 ; ATF 140 IV 74 consid. 2.2, JdT 2014 IV 289 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_73/2011 du 14 mars 2011.
- 31 Arrêt du Tribunal fédéral 1B_654/2011 du 16 décembre 2011.
- 32 ATF 140 IV 74 consid. 2.3, JdT 2014 IV 289.
- 33 Ibidem.
- 34 ATF 137 IV 122, traduit au JdT 2012 IV 79 ; ATF 116 Ia 143, traduit au JdT 1992 IV 120.
- 35 Comm. PPM-Marfurt/Rindlisbacher (n. 27), N 6, ad art. 56 PPM.
- 36 Godel (n. 8), p. 510 ; pour le CP voir art. 69, 70, 71, 72, 73 CP ; pour la PPM voir art. 51, 51a, 51b, 52, 53 CPM.
- 37 ATF 140 IV 57, c. 4.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_163/2013 du 4 novembre 2013, c. 4.1.3.
- 38 Au vu du caractère très sommaire de ces dispositions, il convient de se référer aux conditions énoncées dans le CPP ainsi qu’à la jurisprudence fédérale civile du Tribunal fédéral en la matière (Godel [n. 8], p. 510).
- 39 Le libellé de la version française de l’art. 63 PPM est faux. En effet, de par sa nature provisoire, le séquestre ne vise qu’à garantir que certains objets soient finalement confisqués au stade du jugement au fond. On ne peut dès lors par encore parler de « confiscation » durant la procédure d’instruction. Les textes allemand et italiens sont, quant à eux, plus préçis (Comm. PPM-Macaluso [n. 27], N 2, ad art. 63 PPM).
- 40 Godel (n. 8), p. 513.
- 41 Laurent Moreillon/Aude Parein-Reymond, CPP – Code de procédure pénale , 2ème édition, Bâle 2016 (cit. PC CPP), rem. prélim. aux art. 263 à 268, N 3 ; ATF 130 I 360, c. 14.2 ; ATF 126 I 219, c. 2a.
- 42 Comm. PPM-Macaluso (n. 27), N 18, ad art. 68 PPM.
- 43 Selon sa nouvelle teneur entrée en vigueur le 1er janvier 2019.
- 44 Idem.
- 45 A ce propos, voir Comm. PPM-Macaluso (n. 27), N 18, ad art. 68 PPM.
- 46 ATF 140 IV 28, c. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_106/2017 du 8 juin 2017, c. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_454/2016 du 24 janvier 2017, c. 3.2.
- 47 Arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2011.25 à 27 du 30 mai 2011 consid. 2.3, JdT 2012 IV 350.
- 48 Ibidem.
- 49 ATF 140 IV 28 consid. 4.3.2, paru au JdT 2014 IV 206.
- 50 Ibidem, c. 4.3.4
- 51 Ibidem, c. 4.3.5
- 52 Art. 6 § 3 lit. d CEDH, art. 14 § 3 lit. e PIDCP et art. 29 al. 2 Cst.
- 53 Jeanneret/Kuhn (n. 15), N 4096 ; Piquerez/Macaluso (n. 15), N 630 ; CR CPP-Mahon (n. 15), ad art. 66, N 8.
- 54 ATF 125 I 126, c. 6c ; ATF 121 I 306, c. 1b, traduit au JdT 1997 IV 124.
- 55 PC CPP (n. 41), ad art. 66, N 2 ; Piquerez/Macaluso (n. 15), N 630 ss ; Godel (n. 8), p. 357.
- 56 Il sied encore de citer la procédure des mesures de surveillance secrètes (art. Art. 274, 281 al. 4, 285 et 289 CPP).
- 57 Jeanneret/Kuhn (n. 15), N 4099 ; Piquerez/Macaluso (n. 15), N 636 ; PC CPP (n. 41), ad art. 66, N 2.
- 58 Arrêt du Tribunal fédéral 6B_24/2015 du 2 décembre 2015, c. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_845/2014 du 16 mars 2015, c. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_302/2011 du 26 juillet 2011.
- 59 Jeanneret/Kuhn (n. 15), N 4099 ; Peter Albrecht, Was bleibt von der Unmittelbarkeit?, in : RPS 2010 II, p. 193 et 196 ; Piquerez/Macaluso (n. 15), N 635 ; ATF 143 IV 434, c. 3.3 ; ATF 143 IV 288, c. 1.4.1 ; ATF 140 IV 196, c. 4.4.1.
- 60 Godel (n. 8), p. 358 ; Comm. PPM-Frei (n. 27), N 19 ss, ad art. 147 PPM.
- 61 Art. 50 OJPM : les juges suppléants ne reçoivent rien d’autre qu’une copie de l’acte d’accusation.
- 62 Une exception à la tenue de cette phase probatoire n’est possible que lorsque l’accusé reconnaît et avoue les faits d’une façon « digne de foi » (art. 137 al. 2 PPM).
- 63 Concernant la portée limitée de l’immédiateté des preuves, voir ATMC volume 11, no 55, c. 4.
- 64 Art. 129 al. 1 PPM : le président peut également déléguer cette tâche à un ou plusieurs juges (Comm. PPM-Zimmerli (n. 27), N 4, ad art. 129 PPM).
- 65 ATMC volume 9, no 168.
- 66 Modifications du 17 juin 2016, entrées en vigueur le 1er janvier 2019 (RO 2018 3911; FF 2015 5533).
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