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Chères lectrices, chers lecteurs

La numérisation des produits et services entraîne un changement dans les relations commerciales. Ainsi, les contacts entre les parties s'éloignent des échanges sélectifs et s'orientent vers une interaction continue. Cette pérennisation des relations de service est soutenue par la mise en réseau des objets via l'Internet des objets (IdO). Toutefois, l’intégration juridique de ces développements pose des défis. En septembre 2019, une quarantaine d'experts ont ainsi discuté de l'intégration de l'Internet des objets dans notre ordre juridique, lors d'une table ronde de l'Université de Berne. Les contributions suivantes visent à partager les principaux résultats de cet événement avec un public plus large. Elles sont consacrées aux thèmes du droit des contrats, de la protection des données et des normes en matière de télécommunications, et décrivent les structures juridiques dans ces différents cas d'application.

Andràs Gurovits montre comment, dans la pratique, les contrats dans l’Industrial Internet of Things (l'Internet industriel des objets) doivent être structurés. Il démontre les risques juridiques liés à une solution IdO et décrit la structure possible d'un contrat IdO. À ce titre, il explique que le contrat est composé de plusieurs éléments. Typiquement, outre les dispositions contractuelles générales, il existe des règles spéciales pour l'achat ou la location de machines et pour obtenir des services IdO. La conclusion effective du contrat s'effectue par des Purchase Orders (commandes individuelles) par le biais desquelles le client commande certains produits ou services.

Cornelia Stengel examine comment le financement d'objets par le biais de paquets de services peut être construit légalement. Elle conclut que les parties s’engagent par des contrats innommés qui ne peuvent être subsumés, en vertu du droit applicable, que dans une mesure limitée. En particulier, elle considère que les dispositions des droits du bail et du crédit à la consommation sont problématiques. 

L'utilisation de programmes informatiques sur l'Internet des objets est un sujet qui soulève de plus en plus de questions. Gianni Fröhlich-Bleuler examine ce problème au regard des aspects du droit d’auteur et se demande si un utilisateur peut utiliser un programme informatique sur l’Internet des objets sans le consentement de son fabricant. Il arrive à la conclusion que restreindre l’utilisation d’un programme de l’IdO n'est pas lié à un type d'utilisation individuel. L'utilisateur a donc le droit d'utiliser le programme, tant et aussi longtemps qu'il n'en a pas convenu autrement avec le fabricant du programme. 

Grâce à l'interaction entre les appareils et les personnes sur l’Internet des objets, des données factuelles et personnelles sont collectées, traitées et évaluées. Roland Mathys pose la question du respect de la protection des données selon les différents acteurs de l'Internet des objets. Sa contribution donne un aperçu des principaux acteurs et de leurs rôles en matière de protection des données dans l'IdO. Il démontre les défis pratiques que pose la protection des données dans ce domaine d'application.

Dans sa contribution, Luca Dal Molin traite des normes en matière de télécommunications pour les applications de l'Internet des objets. Il cherche à savoir si les fournisseurs d'IdO sont des fournisseurs de services de télécommunication et en examine la signification. Il évalue également la surveillance du trafic des télécommunications et la participation des fournisseurs d'IdO. 

Floriane Zollinger-Löw et Anna Kuhn traitent également des normes en matière de télécommunications et de protection des données dans leur analyse des exigences en matière de télécommunications et de protection des données lors de l'introduction d'un service IdO basé sur la technologie LoRaWAN. Les auteures consacrent leur contribution à un cas pratique, à savoir l'introduction d’un LoRaWAN dans deux universités suisses. Elles montrent que l'introduction d'un service LoRaWAN est admissible au sens de la protection des données et du droit des télécommunications si les universités prennent les précautions nécessaires. Elles en arrivent en particulier à la conclusion que les universités, comme opératrices de Gateways (passerelles), ne sont soumises qu'à des obligations passives selon les normes en matière de télécommunications. 

Dans sa contribution, Rolf H. Weber cherche à savoir comment l'accès aux données générées par les machines devrait être légalement saisi. Il souligne que l'accès aux données, dans le monde des données numérisées, est devenu plus important, car la maîtrise de fait sur des données peut empêcher des individus et des entreprises d'accéder à des informations importantes. En même temps, il souligne qu’il ne faudrait pas que l'introduction de droits d'accès aux données entraîne, pour l’attribution des biens, des changements difficiles à assumer.

Martin Eggel examine, dans son interprétation des droits réels sur l'Internet des objets, si les droits réels peuvent aider à appréhender juridiquement l'Internet des objets. Dans un premier temps, l'auteur parvient à la conclusion que les droits réels ne peuvent guère justifier l'attribution de faits basés sur des données numériques. Pour la question de la valorisation de contenus et leur utilisation, il s’agirait bien plus de s’appuyer sur les droits de propriété intellectuelle ou les droits de la personnalité. Il suggère, ensuite, un examen plus approfondi de l'importance future de la propriété.

Mirjam Eggen tente de qualifier légalement les contrats de servitization (servitude) et de contenu numérique. Elle est d'avis que les droits et obligations des parties en matière de services intermédiaires ou avancés, ainsi que les contenus et services numériques, ne sont que partiellement pris en compte par le droit en vigueur. L'insécurité juridique qui en découle ne peut être résolue efficacement, selon l'auteure, que par des mesures législatives.

Je tiens à remercier les participant-e-s à la Table ronde sur l'Internet des objets, et en particulier les auteur-e-s de ces contributions, pour leurs impulsions et leur ouverture au dialogue avant, pendant et après l’événement. Je tiens également à remercier Weblaw SA de nous avoir donné l'occasion de publier ces contributions dans cette édition spéciale, pour poursuivre et partager ainsi les réflexions entamées.

Mirjam Eggen, Professeure
Faculté de droit, Université de Berne
Rédactrice Digital Law

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